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Canadell, merrandier depuis 1950

Interview de Frédéric Canadell

Président Directeur Général de Canadell 

QU’EST-CE QUE LE MÉTIER D’EXPLOITANT FORESTIER ?

Nous sommes principalement des acheteurs de bois sur pied de qualité, par conséquent l’exploitant forestier doit suivre le schéma d’exploitation imposé par l’ONF. Traditionnellement, nous exploitons les forêts pendant l’hiver, période de repos végétatif, pour que les grumes soient exemptes de sève et pour permettre une plus longue conservation de celles-ci. 

QUELLES SONT LES DÉFIS DE L’EXPLOITANT FORESTIER ?

Nous sommes tributaire de l’ONF qui détient plus de 25% du territoire forestier dont 95% de la matière qualitative dont la tonnellerie a besoin. Par conséquent, nous acceptons et nous nous adaptons aux règles de mise en marché de l’ONF. 
Ensuite, il y a un réel besoin de rendre ces métiers attractifs parce qu’il est de plus en plus difficile de trouver ce savoir-faire. Nous formons des jeunes passionnés par le bois mais c’est très compliqué de trouver ces compétences. 

COMBIEN DE TEMPS S’ÉCOULE-T-IL ENTRE L’ABATTAGE DE L’ARBRE ET LA RÉCEPTION À LA MERRANDERIE ?

Il faut que la grume soit rapatriée le plus rapidement possible car le temps de conservation est très limité surtout pour les arbres de plus de 150 ans. Le bois n’étant plus en gestation, il faut enlever la partie aubieuse, la partie vivante, au plus vite. Les grumes sont traitées uniquement avec de l’eau car elles sont destinées à l’usage alimentaire. Pour assurer la logistique la plus optimale, l’acheminement est assuré par nos propres camions. 

QUELS SONT LES SPÉCIFICITÉS DE CANADELL ?

Aujourd’hui, 90% des barriques sont fabriquées par des entreprises qui sont à la fois exploitant forestier, mérrandier et tonnelier. La concentration des acteurs de la filière est une tendance réelle pour permettre l’existence de tous les métiers. Si on sort de ce schéma-là, il est impossible d’avoir accès à un chêne très qualitatif. Canadell regroupe l’ensemble de ces métiers pour pouvoir répondre à la demande en fûts de chêne. Les avantages sont de garantir une traçabilité, d’avoir des garanties financières pour l’ONF et d’optimiser les marges pour maintenir l’activité. La concentration est vertueuse dans notre filière car chaque acteur cherche à toujours produire la meilleure barrique avec les meilleures qualités pour son utilisation. 

QUELS SONT LES CRITÈRES QUI PERMETTENT LA PRISE DE DÉCISION D’ACHAT ET L’ESTIMATION AU BON PRIX ?

L’estimation est réalisée lot par lot, pied par pied en forêt … Sur 150 à 200 pieds achetés par an, nous allons en estimer environ plus de 600. Au moment de la vente, nous enchérissons en fonction des prix du marché pour avoir les lots que l’on a ciblés. La matière première de chêne français est très rare et très demandée. Bien que le nombre d’acteurs ait été divisé par 3 voir 4 en 10 ans, il s’agit d’une filière très concurrentielle. Lorsque l’ONF met peu de lots en vente comme ces dernières années, il est très compliqué d’acheter des bois en volume. C’est comme la vente des vins des Hospices de Beaune, vous ne savez pas si vous partirez avec la pièce que vous avez aimée et à quel prix. Néanmoins, la vente des vins à Beaune a lieu tous les ans alors que la vente d’un lot par l’ONF est unique et ponctuelle. 

COMMENT DEVIENT-ON UN BON MERRANDIER ?

Mon grand-père a commencé à faire du merrain dans les années 50. Toutefois, c’est un métier confidentiel et de niche car il n’y a pas de centres de formation contrairement à la tonnellerie. Le métier s’apprend sur le terrain et nous formons ici des personnes. Il faut être adroit, vaillant et aimer la matière.
La première transformation du bois est toujours plus ingrate que la seconde transformation en tonnellerie. Le métier a évolué dans certaines méthodes de débit, l’automatisation de certaines transformations mais le métier est le même qu’il y a 50 ans.
Le chêne a poussé dans des conditions lentes et spécifiques, seul un œil expert humain est capable de suivre ses lignes pour le transformer. Par exemple, le tri des merrains est exclusivement réalisé à la main alors que pour les vignerons, la technologie avec une trieuse optique à la vendange permet des avancées que nous n’avons pas encore mises au point dans nos métiers.
La merranderie, tout comme la tonnellerie, sont des industries de luxe : nous travaillons une matière noble associée à un savoir-faire humain ancestral. Quand nous proposons des matières dérivées telles que les staves ou les copeaux, nous nous adressons à d’autres acteurs où l’impact financier de l’utilisation du bois doit être moins important. Le calcul est rapide. Pour les copeaux, il faut 2 grammes pour 1 litre alors qu’une barrique, c’est environ 228 litres. Les marchés et les clients sont donc très différents.

POUVEZ-VOUS ILLUSTRER LA PRESSION DES PRIX SUR LA MATIÈRE PREMIÈRE ?

Le prix du chêne français a augmenté d’environ 40% en 3 ans en raison de la faible mise en marché des volumes disponibles par l’ONF. L’arbre aura mis 150 à 200 ans à pousser, ensuite nous avons un délai de 5 ans entre l’abattage avec des étapes techniques de merranderie, d’immobilisation pour le séchage sur parc avant d’être façonné par le tonnelier. Cette ressource est fragile et limitée.
Il faut rappeler qu’en France, nous ne décrochons pas nos téléphones pour acheter 1000 m3 de chêne. Cela n’existe pas ! Dans la région Centre, il y a quatre ventes importantes dont deux à l’automne et deux en juin. Dans la région parisienne, il y a uniquement deux ventes par an. Au total en France, il y a environ une dizaine de ventes alors qu’auparavant on en comptait une trentaine. La concentration des volumes et des acteurs sont deux facteurs qui favorisent la pression sur les prix.

OÙ ACHETEZ-VOUS VOS ARBRES ?

La particularité de Canadell est d’être le premier acheteur de chêne à l’ONF depuis plusieurs années en raison de notre capacité à sourcer du bois dans toutes les régions françaises. Nous avons deux acheteurs dans les Vosges, un dans le Centre, un en région parisienne et deux localement dans le Sud-Ouest. Nous achetons également quelques bois en Allemagne. Ce sont des bois très qualitatifs en raison des climats plus rigoureux et une méthode de sylviculture encore plus protectionniste qu’en France car ils fonctionnent au diamètre, notamment dans la prestigieuse futaie de Sarre-Palatinat. Nous achetons peu car nous ne sommes pas présents sur place mais le peu que nous avons fait partie des plus beaux bois que nous pouvons trouver.

CANADELL EN QUELQUES CHIFFRES :

45 000 m3 de chêne par an dont la principale transformation est destinée à l’œnologie
Environ 10 à 12 000 pieds par an
Environ 100 personnes

Propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet pour la Tonnellerie Cadus – 2020

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