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Le réchauffement climatique et l’élevage bois

Interview avec Antoine Lepetit de la Bigne

Œnologue, ingénieur agronome et consultant pour les propriétés viticoles en France et l’étranger pour les accompagner dans une vinification et une viticulture plus qualitatives et écologiques avec les principes du bio et de la biodynamie. 

QUELS SONT LES CRITÈRES ESSENTIELS POUR CHOISIR LE FÛT ADAPTÉ AU FUTUR VIN ?

Lorsque je conseille un vigneron, il n’y a pas de fût idéal au départ. Il est avant tout essentiel de comprendre le style du vigneron et où il souhaite emmener ses vins. Après il est vrai, que j’ai une approche où je cherche à mettre en avant les notions d’élégance et de finesse plutôt que de puissance ou de concentration. Comme je travaille dans différents vignobles tels que Bordeaux, le Sud de la France et même à l’étranger où l’on a spontanément des vins avec plus de puissance, mon objectif à la vigne et à l’élevage est d’équilibrer cette puissance. C’est pour cela que le fût doit être au service du vin pour préserver le fruité, la fraîcheur aromatique et en bouche.

COMMENT CES CRITÈRES ONT-ILS ÉVOLUÉ AVEC LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

Le premier critère est le déclin d’une mode où l’utilisation du bois et de chauffes fortes avaient été très utilisées notamment à Bordeaux. En second vient l’adaptation des élevages dû à l’impact du réchauffement climatique sur la composition des raisins et sur l’équilibre des vins.

Le réchauffement climatique est la donnée principale pour l’avenir. Comparé à il y a 20 ans, nous récoltons des raisins avec des maturités sur pied plus poussées et par conséquent la matrice du vin est différente. Le vin a moins d’acidité et davantage de tannins plus mûrs. Nous avons pour les rouges des raisins qui présentent une maturité phénolique très aboutie notamment d’un point de vue des tanins mais le risque est de perdre en fraîcheur aromatique. J’utilise certaines pratiques de la biodynamie pour améliorer la synchronisation des maturité technologiques et phénoliques. A contrario, à force de pousser des cépages tels que le Merlot à des maturités fortes, on se retrouve avec des degrés excessifs au-dessus de 14,5° et cela nuit à l’équilibre et à la notion d’harmonie. Cela n’est pas souhaitable à long terme.

Quant à l’élevage sur bois, ces maturités plus poussées exigent d’adapter le travail avec les fûts. Nous avons moins besoin de polisser le tanin avec des apports d’oxygène importants et des apports tanniques structurants que par le passé. Cela est particulièrement vrai pour les blancs.

Par exemple, le Chardonnay en Bourgogne a des équilibres différents d’il y a 30 ans. Nous observons des pH qui remontent et des maturités pelliculaires fortes. Il est clair qu’aujourd’hui ce n’est plus difficile de faire mûrir du Chardonnay en Bourgogne. Je pense que nous devons re-raisonner l’élevage en fût avec la succession des derniers millésimes chauds que nous avons eus en Bourgogne sur les blancs et l’élevage dans la pièce bourguignonne traditionnelle de 228 litres est à questionner.

QUEL TYPE DE CHAUFFE CHOISIR POUR SON VIN ?

Je viens du monde des vins blancs, et sans doute par déformation, j’apprécie de faire des rouges qui « goûtent comme des blancs ». C’est-à-dire où les qualités de transparence, de cristallin, de sapidité et de minéralité sont présentes dès la jeunesse sans être masquées par une structure tannique surabondante. Pour arriver à cela, j’aime travailler avec des fûts qui ont des chauffes assez proches de celles que l’on utilise pour les blancs : légères en termes d’intensité et de température mais une chauffe tout de même assez longue pour entrer en profondeur dans le bois. Cela implique un séchage du bois par le tonnelier d’excellente qualité, en particulier pour les pièces bourguignonnes qui sont plus ventrues que les barriques bordelaises pour que cela ne cloque pas à la chauffe et au cintrage. J’ai tendance à privilégier sur le Pinot Noir ces chauffes relativement légères et qui en même temps préservent le fruit et soutiennent cette dimension de fraîcheur.

POUR FAIRE UN GRAND VIN, EST-IL NÉCESSAIRE DE RÉALISER UN ÉLEVAGE EN FÛT ?

C’est une question que tous les vignerons doivent se poser. Les conditions de maturation des raisins et d’équilibre liés aux millésimes chauds que nous avons avec le réchauffement climatique nécessitent de réviser son élevage. Tous les paramètres doivent être passés en revue par le vigneron pour savoir si cela va dans le sens qu’il souhaite pour préserver la fraîcheur et pour s’adapter au réchauffement climatique. Cela passe par le type de bois, de contenant, leur chauffe, les durées d’élevage dans les différents types de volume et d’être ouvert à remettre en cause les pratiques habituelles. Je crois beaucoup au panachage des fûts avec d’autres types de contenants, plus gros pour atteindre cet équilibre.

Pour les rouges, la plupart des cépages bénéficient clairement d’un élevage sur bois sur la première partie, également pour les cépages peu tanniques comme le Pinot Noir. La question se pose sur la deuxième partie des élevages longs. Aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, j’aime réaliser une première partie de l’élevage en fût ou barrique puis soutirer les vins et les placer dans des plus gros contenants sous bois comme par exemple, le foudre. C’est un contenant qui a été gardé dans d’autres régions du monde comme l’Autriche ou l’Italie. Cela permet de préserver la fraîcheur aromatique tout en continuant à élever le vin pour l’emmener plus loin dans la finesse. Cette pratique correspond très bien aux derniers millésimes chauds.

Sur les blancs, la question se pose de la même manière tout en sachant qu’aujourd’hui, il y a des exemples de très grands blancs élevés uniquement en cuve inox, comme des Riesling de Moselle allemande ou luxembourgeoise. J’ai une philosophie assez proche de celle de l’élevage pour les rouges. J’ai tendance à raccourcir les durées d’élevage en 225/228 litres tout en gardant une période longue sur lie entre 18 et 24 mois. Mais pour se faire, il faut limiter les prises d’oxygène et pour cela l’effet masse d’un foudre ou d’un grand contenant comme un 500 litres est intéressant.

En parallèle, certains vignerons explorent aussi l’élevage en amphore qui permet de travailler la prise d’oxygène sans la prise bois. Cette technique est intéressante mais on se prive de l’apport en polyphénols du fût de chêne qui est intéressant si on parvient à le gérer sans qu’il ne devienne caricatural.

QUELS SERAIENT LES CONTENANTS IDÉAUX ?

Sur l’élevage des blancs, nous cherchons à limiter la prise d’oxygène. Pour cela nous avons 3 leviers. Premièrement, baisser la proportion de fûts neufs. Néanmoins, pour avoir une rotation qualitative des fûts cela est parfois difficile de faire varier cette donnée. Le deuxième levier est la taille des fûts. Aujourd’hui, je fais beaucoup d’essais avec des contenants plus gros que la traditionnelle pièce de 228 litres. Cela peut être des foudres, des demi-muids, des 500 litres qui fonctionnent très bien avec les blancs bien que cela peut poser des problèmes pratiques de manutention et de taille dans la cave. En revanche, les 350 litres que l’on peut utiliser pour les élevages intermédiaires présentent l’avantage de se manipuler comme des pièces de 228 litres. Leur ratio surface volume inférieur permet d’avoir des élevages plus lents par rapport à la prise de bois et au transfert d’oxygène. Le troisième levier est la matière des contenants. Nous avons le fût de chêne traditionnel et aujourd’hui les différents types d’amphores, les œufs en béton par exemple, sont des alternatives à considérer, en blancs comme en rouges.

Antoine Lepetit de la Bigne

Propos recueillis par Marie-Pierre Dardouillet pour la Tonnellerie Cadus – 2020

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